Le cheval de trait au service du Grand Cru Classé Smith Haut Lafitte.

Publié par Sébastien Boulanger le 18/06/2024

Le Château Smith Haut Lafitte fait partie de ces maisons de référence qui font la renommée des vins de Bordeaux dans le monde entier… À la tête de ce domaine prestigieux, deux anciens champions de ski, Florence et Daniel Cathiard. Après une réussite prospère dans le monde des affaires, en 1990, ils tombent amoureux du Château et décident de se lancer dans l’aventure et de perpétuer l’histoire de ce Grand Cru Classé de Graves.

À l’occasion d’un voyage dans la Loire, ils découvrent le travail de la vigne avec les chevaux de trait. Une utilisation qui avait été oubliée depuis longtemps avec la mécanisation. Séduits, ils veulent appliquer la méthode à leur domaine. Smith Haut Lafitte, avec l’utilisation du cheval est alors un précurseur dans le Bordelais. Une peu trop même. En effet, rien n’existe pour les aider dans leur démarche. Si bien que les problèmes de matériel se posent rapidement. Sans bourrelier pour réparer l’harnachement qu’ils avaient récupéré, l’aventure s’arrête après quelques années seulement. Mais les Cathiard ne sont pas du genre à baisser les bras aussi facilement et le cheval de trait reste dans un coin de leur tête…

Quelques années plus tard seulement, il allait faire son retour au château et pour beaucoup plus longtemps cette fois…

C’est par un petit chemin qui borde les parcelles de sauvignon blanc d’un côté et de l’autre les Sources de Caudalie, l’hotel 5*, que Julie Cruchon arrive pour débuter sa journée. La prestataire en traction animale auprès de Smith Haut Lafitte depuis 2017 est accompagnée d’Églantine du Fort, une jeune fille de 700 kilos…

« C’est une jument bretonne de 8 ans, que j’ai achetée quand elle avait huit mois. Jusqu’à ses trois ans et demi je lui ai fait découvrir plein de choses, juste comme ça, en travail à pied. Ensuite, étape par étape, je l’ai formée et lui ai appris à travailler. Maintenant, elle s’occupe de tout le travail du sol dans la vigne. Le « Breton » c’est fonceur, ça a de l’énergie, c’est compact et ça peut être assez têtu aussi (rires). Ses « collègues » ardennais, sont des entiers, mais ils sont plus patachons. Eux vont faire le travail tranquillement alors qu’Églantine a beaucoup plus d’énergie et si on lui dit « on va faire la parcelle » elle démarre au quart de tour…D’un autre côté, malgré leur ampleur, ils peuvent se faire très délicats et précis. Ils sont capables de mettre un pied 3 millimètres à gauche ou a droite. Elle, par exemple, quand elle sent que c’est un peu plus serré va presque mettre un pied devant l’autre. C’est très intelligent et curieux comme race. »

Le cheval n’est pas un gadget dans le vignoble

Même si elle plait beaucoup aux visiteurs du domaine, aux clients de l’hotel et des deux restaurants gastronomiques, l’utilisation d’Églantine et de ses congénères n’est pas juste une animation pour touristes. Le but premier est bien agronomique. 

« L’avantage d’utiliser le cheval de trait dans les vignes, c’est que ça évite le compactage du sol. La où un tracteur, avec ses roues, va tasser la terre en profondeur, le cheval, lui, ne passe pas deux fois au même endroit. Donc on compacte beaucoup moins la terre. Ce qui est très important pour la vie microbienne et la vie du sol. Ça permet la dégradation de la matière organique par les vers ou les insectes, ce qui n’est pas possible quand le sol est trop compacté. Alors il s’asphyxie. »

Pour les faire passer dans des rangées d’un mètre à un mètre dix, un apprentissage s’impose pour ces colosses aux grands pieds…

« Il est important de leur apprendre a gérer leur corps. Comme par exemple leur apprendre à déplacer indépendamment les antérieurs des postérieurs. Avancer, reculer, passer dans des passages étroits. Leur faire découvrir des choses qui peuvent arriver de l’extérieur ou des choses qui viennent leur taper dans les pieds. Ne pas avoir peur de l’outil derrière eux. Aussi leur apprendre à décoller la charge et pas se jeter dans le collier. Tout simplement pour ne pas que ça les abime.

Leur instinct primaire c’est de fuir. Ils doivent donc apprendre a gérer la peur non pas dans la fuite mais plutôt en s’arrêtant pour que le danger qu’ils imaginent disparaisse.

Il faut savoir que le développement de leur ossature se fait jusqu’à huit ans. Donc jusque là il ne faut pas faire n’importe quoi pour ne pas les « casser ». Donc moi j’estime qu’entre son début d’apprentissage et ses huit ans, il ne faut fatiguer le cheval ni physiquement ni mentalement. »

« Ils travaillent deux, trois heures maximum et pas tous les jours. À partir de leur huit ans jusqu’à leur fin de « carrière » vers quinze, seize ans, on peut leur demander plus, mais toujours dans le respect de leur physique et leur mental. Ils peuvent donner tellement, il faut vraiment les respecter. »

Les chevaux de trait font partie intrinsèque du domaine SHL

« Les chevaux qui travaillent la vigne ici, habitent sur place. Depuis vingt cinq ans les chevaux de trait font vraiment partie du domaine ici. Les gens apprécient beaucoup de les voir travailler dans la vigne le matin quand ils ouvrent les rideaux de leur chambre d’hotel. Il viennent leur rendre visite aussi, prendre des photos… C’est plus sympathique qu’un tracteur. Le cheval dans la vigne ramène une âme ».

Sur les quatre vingt sept hectares de vignes du domaine, les chevaux de Smith Haut Lafitte en travaillent une dizaine.

 » En fonction des exigences de la météo, quand la plage est courte, parfois on utilise plusieurs chevaux de front, parfois jusqu’à trois, pour pouvoir aller plus vite. Habituellement, le cheval peut faire jusqu’à 1 hectare en six heures de travail. Notre occupation principale ici est de désherber mécaniquement. C’est à dire que l’on va passer dans les vignes pour griffer, sarcler.

On va passer des lames inter-ceps, on va chausser pour l’hiver (faire une petite butte de terre au pied de la vigne pour la protéger). On va décavaillonner au printemps (travailler la vigne au plus près du cep en ramenant la terre au centre). De mars à novembre c’est le boulot d’Églantine quatre jours par semaine, trois à quatre heures par jour. Un peu plus pour les autres qui sont plus âgés ».

Bien entendu, l’expérience du Château Smith Haut Lafitte a fait des émules. Aujourd’hui, ce ne sont pas moins d’une quarantaine de Châteaux du Bordelais qui utilisent la traction animale pour le travail de la vigne. Une École du Cheval Vigneron a même été créée en 2022, à Saint-Emilion.

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